147. At work: Une matinée dans ma vie de prof

Ce matin quand je pars il fait nuit noire. Toujours autant de pluie et de vent et de froid: il faut donc éviter à X de se déplacer une seconde fois. A 7:24 je suis devant le bureau, avant d'entrer j'ai une vision éclair d'une antre, d'une caverne d'Ali Baba pleine de papiers, copies, sujets et de feuilles de brouillon couleur pastel. Les tours penchées menacent de s'écrouler sur X et il faut que les brigades de profs viennent vite récupérer tout cela. Je me dis aussi que s'il n'y a personne dans ce bureau je fais un scandale.

Je frappe. La porte s'ouvre. X et une assistante de X sont là, à me foudroyer du regard. Moment délicat où l'équilibre des relations humaines ne tient qu'à un fil. Je fais appel à toutes les fibres diplomates de mon corps et à peine une minute plus tard, je repars, mon paquet sous le bras. Je dois maintenant traverser ce jardin désolant en tentant désespérément de protéger les précieux documents de cette pluie battante.

'Mais qu'est-ce que je fais là?' me susurre une petite voix si petite que je ne l'entends pas avec cette pluie  grasse et lourde, avec mes pas qui résonnent sur ce chemin fait de grilles métalliques (je vous l'ai dit: désolant).  

J'arrive dans ce hall tout aussi désolant, monte deux étages et me voilà dans la salle d'examen. Je sors mon téléphone et le pose sur le bureau: il est 7:31. Et me voilà dans cette salle vide, délabrée et donc désolante elle aussi. Je regarde les tables et les chaises. J'ai une demi-heure d'attente.

Je m'affaire donc avec tous ces paquets: quatre en tout. Les sujets (TOP SECRET), les copies (étrange format qui n'a pas changé depuis environ 70 années) et les brouillons pastel. Rose et bleu pour moi aujourd'hui. J'espère que cet après-midi j'aurais vert et jaune. J'hésite longuement à donner une ou deux copies à chacun. Aucune instruction officielle sur ce sujet et je pose donc le pour et le contre car je  ne veux surtout pas agir à la légère. Je décide qu'une seule copie suffit et accepte donc d'être dérangée s'ils veulent en remplir une deuxième. Je mets ensuite trois feuilles de brouillon par table et j'alterne rose et bleu. Je reviens au bureau, monte sur l'estrade (oui, l'estrade. J'aime ces estrades qui grincent sous mes pas et qui me donne une excellente vue sur la classe mais aussi j'espère un petit air important). Et, oh ! ... Merveille des merveilles! Toutes ces feuilles admirablement disposées en quinconce, alternance de deux couleurs pastel ... Je suis fière de mon travail. Je m'assois.

Quelques 40 minutes plus tard, je n'y tiens plus. Je sors mon Thermos de café. Il n'est que 8: 45 mais je ne veux surtout pas somnoler. L'heure est trop grave. Je range les papiers sur le bureau en pensant à mon collègue qui va me remplacer. Soudain la porte s'ouvre sans bruit et Z entre tel une apparition, il me regarde et hoche la tête em marmonnant quelque chose. Je me dis que ce doit être un 'bonjour' et je réponds. Il me regarde en penchant la tête légèrement sur le côté. Je le regarde moi aussi et hésite à pencher la tête du côté opposé. Puis il tourne des talons et s'en va, refermant la porte derrière lui tout aussi silencieusement.

Visite de politesse? De courtoisie? De contrôle? Z fait sa tournée matinale? La sonnerie (musiquette ridicule) me tire de mes pensées.

Je repars. Je longe le corridorJe redescends au premier. Je longe un autre couloir,. Je remonte au deuxième dans une autre aile du bâtiment et donne un cours à une classe de seconde.  Puis c'est la récréation: vite, je refais le chemin à l'envers puis dans le hall je descends les marches jusqu'au rez-de-chaussée, je sors et passe sous la voute qui n'en est pas une pour me retrouver dans le bâtiment de la salle des profs. Je descends dans ce sous-sol et arrive enfin à la salle des profs. Je passe par les toilettes, vite je ressors et je m'assois pour boire deux gorgées de café sans même enlever mon manteau. Et hop je repars en sens inverse. J'ai l'impression d’être dans un jeu vidéo, je suis le petit pion qui va dans tous les sens, prend des virages à angles droits sans réduire sa vitesse, et file sur son trajet, sauf que le petit pion a un but bien précis alors que pour moi, tout est très flou. Mais sans fléchir je continue, j'arrive aux escaliers et là il faut que je grimpe quatre étages. 

J'arrive au quatrième, pas le temps de souffler, je me dépêche car mon collègue m'attend: lui aussi veut sa demi-pause. Zut! Deux couloirs 400! Lequel prendre? Je demande à un élève la 415, il me dit par là. Je fonce en regardant les numéros sur les portes. Pas de 415! Demi-tour, je repasse devant l'élève mais pas le temps de faire des commentaires. Vite, vite. Je prends l'autre couloir 400. J'arrive au bout mais je n'ai pas vu de 415. Ah! Mais voilà des marches! Hop, je les descends et me retrouve dans un autre couloir et là ... la salle 415! La porte est ouverte, le collègue dans les starting blocks, son manteau sur le dos et son sac à l'épaule.  Un petit signe de la tête, il quitte son poste et je prends sa place.

Je m'assois, sors mon café. Le liquide brulant, l'odeur qui s'échappe de mon Thermos et les lumières rouges des calculettes qui  s'allument et s'éteignent à intervalles réguliers font que je me retrouve bien loin de cette triste réalité. Je me projette sur une ile brumeuse sur laquelle je devine des moutons ici et là et au loin ces phares qui clignotent ...

Mais un autre collègue arrive. Je repars donc. Je descends deux étages et me retrouve dans un couloir qui me ramène au hall d'entrée que je traverse et reprends les escaliers qui montent en 207.  Le petit pion du jeu vidéo file toujours à travers les ombres couloirs. Je suis dans ma dernière ligne droite et suis prête pour le dernier sprint quand, soudain, Z apparait au détour d'un couloir.

'Re!' Me lance-t-il.

Cela me laisse perplexe. Re? 

Je prononce deux ou trois syllabes qui n'ont aucun sens, deux trois syllabes au hasard. Je me demande s'il connait mon itinéraire. 

'Re!' 

Je poursuis ma folle course. Encore un étage et c'est bon, je traverse un autre hall et tout au bout du couloir je vois mon petit groupe d'élèves. Ils sont bien sages et rangés le long du mur. J'aperçois alors un collègue, les bras croisés, fixant le point d'où j'arrive, le regard fixé sur moi. Du loin je le foudroie du regard. Le collègue agacé par mes élèves indisciplinés fait un petit geste, rentre dans sa salle et ferme la porte. Mais voilà c'est trop tard, je suis en colère. 

Je claque la porte - les portes de ce couloir claquent comme des coups de tonnerre en temps normal -mais là, j'ai un peu trop forcé. Bang! Toute la cloison (nous sommes dans la partie délabrée) s'ébranle.

Avec cette porte, je me dis que je pourrais faire passer mon message en morse. 

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