377. Les parents
Il est presque 2 heures du matin et je viens d'être réveillée en sursaut par un bruit de bouteilles qui s'entrechoquent. Je connais ce bruit, c'est normalement celui du samedi matin. Mais mon voisin en a sans doute un peu marre de ce quotidien morne, de cette grisaille permanente qui s'infiltre jusque dans nos âmes et se met à boire en semaine.
Pourtant il n'est pas prof lui.
S'il l'était alors oui j'aurais compris qu'il ait bu jusqu'à deux heures du matin ce jeudi soir, pour oublier tous ces moments gênants.
Pour oublier que j'ai quitté le hall glacial et mal éclairé alors que j'avais clairement identifié au moins deux de mes élèves avec leurs parents. C'est justement cela qui m'a fait me lever et prendre mon sac. Encore 2! D'ici qu'ils en aient fini tous les deux, il sera 9 heures du soir et je serai encore là! J'ai donc pris mon sax, mon manteau et mon écharpe et hop ni vu connu je me suis enfuie par l'escalier du fond, dans l'obscurité totale. Moment très gênant.
A 6:00 la sonnerie marquant la fin des cours avait retenti. J'étais en train - et ce n'était pas facile - de parler à une maman dont l'enfant est excessivement stressée par ses résultats, ayant beaucoup de mal dans ma matière. Soudain, nous faisant sursauter toutes les 3, la célèbre chanson de Noël de Mariah Carey retentit dans les hauts-parleurs (les néons ne sont pas performants mais les hauts-parleurs eux le sont). Etant prof d'anglais je me demande si je dois faire un commentaire de quelque sorte, puis me rend compte que je suis en train de sombrer dans la bêtise voire la folie furieuse et je relève la tête sans pouvoir parler puisque la musique continue. Nous avons droit à la totalité du premier couplet puis au refrain. À you baby, la musique s'arrête enfin. Je vois que la maman n'est pas du tout impressionnée. Elle regarde sa fille un regard sévère, en fronçant les sourcils.
'Euh, c'est la sonnerie.' lui dit sa fille (stressée!)
La mère secoue la tête et lève les yeux au ciel.
'C'est la sonnerie?' me lance-t-elle sèchement.
'Euh, oui ... Je sais, c'est un peu tôt.'
'Tôt?' Elle écarquille les yeux. Je m'effondre intérieurement. Pour une fois que je tiens une maman qui a l'air sur la meme longueur d'onde que moi, je passe clairement pour une incompétente.
La maman secoue la tête. J'arrive à lire dans ses pensées: ces profs franchement rien à en tirer.
Moment très gênant numéro 2.
La maman que je vois ensuite est avec son fils, un garçon calme et tranquille, qui fait son travail et ne pose aucun problème, le garçon qui rentre dans le moule. Mariah Carey c'était la dernière sonnerie donc je suis tranquille. L'entretien pourrait être très bref mais la maman tient absolument à m'expliquer que son enfant est HPI (rien à voir avec la HP sauce cela veut dire haut potentiel intellectuel si vous n'êtes pas dans l'EN, ni psy, no orthophoniste et si vous n'avez pas vous même d'enfant comme cela). Elle m'explique donc qu'il est différent, n'a ps beaucoup d'amis ... Je lui dis que je l'ai déplacé pour bavardages au debut de l'année, elle me répond c'est parce qu'il s'ennuie en cours. Le premier jour? Je suis vraiment une prof nulle, sans aucune sensibilité aux différentes intelligences en face de moi, j'ai un genie qui peut m'aider a faire le cours (si, si!) et je ne m'en aperçois même pas! incapable d'adapter mes cours pour permettre au mini Einstein de s'épanouir et de faire du bien à la société. A cause de moi la société ira encore plus mal. La maman s'en va. J'ai mal à la tête et mon estime de moi s'effondre.
Moment de gêne intense numero 3.
Il n'y a même pas de café pour m'aider à faire face au suivant. Une autre maman. Après avoir dit ce que j'avais à dire, comme la précédente, elle continue l'entretien mais cette fois-ci pour me raconter que son fils a été harcelé pendant des années, qu'elle aporté plainte, ... et s'effondre, en larmes, devant moi. Heureusement je suis au fond de la salle dans la pénombre (seuls quelques plafonniers sont allumés: panne? économies?) J'essaie de prendre un air de compassion plein d'intelligence émotionnelle mais l'entretien précédent a mis à mal cette capacité en moi. Je balbutie quelques platitudes du genre, elle sort son mouchoir, s'essuie les yeux, se mouche et me dit au revoir. Mon estime de moi dégringole encore un peu.
Cela fait 3 moments de gêne intense, 3.
Au suivant. Je bois la dernière goutte de café froid de mon thermos. Cette fois-ci un garçon avec sa maman et c'est le garçon qui se met à pleurer. La maman est à bout, elle n'en peut plus, elle se bat avec son fils pour qu'il travaille. Lui supprime les écrans et donc se retrouve en conflit avec lui. Je lui dis que je la comprends et qu'elle a raison. Je lui dis qu'elle peut me recontacter quand elle le souhaite. Elle a l'air contente de cela. Je la rassure aussi, son garçon n'est pas 'dys', n'est pas 'hyper', c'est un juste un garçon qui n'aime pas le travail scolaire. Nous sommes dans la normale! Cela la fait rire un peu. Je me sens un peu mieux. Je leur dis au revoir.
Je regarde ma montre. Il est tard. J'ai faim. J'ai soif. Il n'y a pas de café, pas de petits gâteaux secs. Pas de chef pour nous remercier, consoler, rassurer, aider, soutenir. J'ai eu ma pause déjeuner à 11 heure ce matin et cours de 12 a 15 heures, puis une pause de heure (sandwich et thermos de café) pour commencer ces entretiens à 16:00. Il est 20 heures 15. J'en ai marre. Dans la salle mal éclairée j'identifie clairement deux de mes élèves ...
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