394. Le grand n'importe quoi
Et voilà! C'est reparti pour la saison des examens. Pour mon plus grand bonheur. Car c'est à moment-là que je réalise que notre monde est en péril.
Examen blanc. Grand Oral. Rien que la dénomination me hérisse le poil. Je me gratte la tête et cherche en vain à comprendre le 'grand' de 'grand oral'. Je comprends le 'oral' dans 'grand oral'. Ça, c'est facile. C'est un oral avec non pas un mais deux professeurs (un professeur ça ferait pas 'grand', c'est sans doute cela l'explication que je cherche) et donc c'est quelque chose qui prend du temps et qui nous pourrit notre mois de juin. Qui de est déjà pourri par la météo. Le doux mois de juin d'antan, fait de jours de repos, de quelques surveillances et de corrections de copies - de vraies copies en papier - c'est fini.
C'est pourtant avec grand plaisir que je retrouve ma collègue pour cet examen blanc. Elle est la spécialiste et moi je suis ce qu'on appelle la 'candide', c'est pas mal 'candide' c'est mieux que l'ignare ou l'idiote ou celle qui sert à rien mais qui est là quand même car de toutes façons elle ne peut pas aller à la plage la météo est pourrie.
Notre candidate numéro 1 est sûre d'elle et s'exprime d'une voix claire et assurée, les gestes maîtrisés. Cela est de bonne augure et je me réjouirais presque d'être ici dans ce couloir lugubre en ce maussade après-midi de juin. Mais plus elle parle, plus j'ai de mal à garder mon enthousiasme et mon attention. Je regarde par la fenêtre, je fronce les sourcils, je gribouille sur mon bloc-note. Je fronce les sourcils, je penche la tête à droite puis à gauche. Bref, je commence à m'agiter et bientôt je vais être carrément énervée.
Enfin mon téléphone sonne la fin de la presentation. Ouf! J'en peux plus. Ma collègue relève la tête. Je lui demande la permission (je suis après tout la prof pot de fleur) et pose la première question.
'Quelle différence y-a-t-il entre 'soft power' et 'propagande'?'
Et ma candidate là soudain elle ne fait plus sa maline à nous prendre de haut avec ses histoires de Kpop (j'ai d'abord pensé qu'elle allait nous parler de céréales de petit déjeuner), de idols (prononcer à l'anglaise) de BTS (pour nous c'est un cursus scolaire), de food, de tourisme, de Biden et de Trump, de TikTok ...
Elle devient toute rouge et bafouille que la propagande c'est pas bien et le soft power c'est bien. Je la regarde avec le mum's death stare et puis j'ai pitié surtout que je vois que ma collègue a peur aussi! Elle doit se dire que si la petite se met à pleurer là on est pas formé pour gérer.
Je ne peux pas m'em empêcher et je lui demande ses sources pour la mention de la politique des USA parce que quand même dire que vous avez vu ça sur TikTok c'est un peu léger. Ma collègue est toujours silencieuse donc je demande à la candidate si à part se pâmer devant ses idoles (apparemment elle est grave fan) elle aurait pas un truc un peu critique à dire. Je formule cela différemment of course.
Elle commence donc à parler de la façon dont ces stars sont parfois mises à rude épreuve. Ma collègue s'impatiente.
Mon téléphone sonne. Fin de l'épreuve.
'Bon, oui, il faudra bien revoir le contenu mais sinon c'est très bien.'
La candidate n'a pas encore quitté la salle que ma collègue se jette sur son téléphone.
'Mais de quoi elle nous a parlé? C'est quoi ce Kpop et ce BTS?'
Elle trouve des vidéos, elle met le son et regarde.
'Oh la la! Mais je ne connaissais pas ça, moi!'
'Tu imagines si nous on avait proposé un exposé sur les Rolling Stones ou sur un acteur trop beau trop beau Madame je vous jure, il est trop sexy la façon dont nos profs auraient réagi?'
On fait passer le suivant. Qui, très confiant aussi arpente la salle de droite à gauche et de gauche à droite tout en parlant, il nous donne le tournis, on se croirait à Roland Garros!
Il nous explique - s'en rend-il compte? - qu'il a recyclé son exposé de 3ème sur le patrimoine local et il nous dresse un catalogue ponctué de etc ... J'en peu plus et ma collègue non plus. C'est très bien, dit-elle. Au suivant ... Mais il n'y a pas de suivant! Les 4 autres sont restés chez eux et je crois que c'est mieux comme ça.
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