410. Les élèves

De grands ados qui n'en finissent pas de remplir la salle. Les uns après les autres, ils s'entassent et tentent de se frayer un passage entre les chaises, les tables et les autres élèves qui refusent de bouger parce qu'ils on trop peur de se séparer du copain ou de la copine.

Je me tiens près de la porte à les regarder passer avec un air qui je l'espère inspire un peu de crainte (un tout petit peu) même si je sais ce n'est pas dans l'air du temps. Mais alors pas du tout.

'Vous êtes combien comme ça?'

'35 Madame.' Me répond un garçon sur un ton enjoué. Peut-être se dit-il que plus on est de fous plus on rit. Ou alors que plus on est d'élèves plus il est facile de se faire oublier, surtout qu'en plus la prof elle a pas l'air commode.

Enfin les voilà tous à l'intérieur. J'ai un peu le même sentiment de satisfaction que quand j'étais petite et que j'aidais ma grand-mère à remplir les bocaux de haricots verts. Il fallait bien les ranger, les tasser sans les abîmer, bien remplir le pot et s'arrêter juste en-dessous du couvercle.

Je chasse les haricots verts de mon esprit. Je regarde les élèves et je vois que c'est n'importe quoi. Certains sont assis, d'autres avachis (déjà!) certains sortent des affaires flambant neuves, d'autres sont debout, un menace de s'endormir près de la fenêtre. 

'STAND UP EVERYONE PLEASE!'

Résultat: beaucoup de bruits de chaises, de tables, de crayons qui tombent et de bavardages (qu'est-ce qu'elle a dit?).

D'un seul coup je n'ai plus l'air autoritaire du tout, je suis passée direct à l'air fatigué et démotivé et je ne cherche meme pas à le cacher. 

Je repense aux haricots verts et d'un coup je retrouve du sens à ce que je fais et c'est reparti pour la leçon de morale de début d'année. On se lève, on attend dans le silence, prêchi-prêcha, bla-bla-bla.

'Tout le monde s'en fiche dans ce lycée, mais pas moi, du moins pas cette année, du moins pas ce trimestre, enfin pour le mois de septembre c'est important: il est strictement (accent porté sur le strict) interdit de manger pause pour voir l'effet produit et boire dans les salles de classes. Avant que l'un d'entre me sorte le chapitre de science sur le fait que le corps humain comporte 70% d'eau et que bla-bla-bla il faut s'hydrater vous avez pas le droit de nous en empêcher, j'ajoute que seule l'eau est autorisée.

'Les agents d'entretien ne sont pas là pour ramasser vos ordures, si vous embauchez un valet de pied ou une chamber maid, bien sûr leur présence sera tolérée en cours.'

'Des questions?'

Comme d'habitude, et cela m'arrange il n'y a aucune question. Mais à la fin de l'heure, alors que je me dis qu'ils doivent quand même être contents sinon soulagés de quitter cette salle avec la prof bizarre, un petit groupe se forme près du bureau.

J'ai envie de dire déja? Mais enfin qu'y-a-t-il? C'est le premier cours et vous n'avez même pas de devoir et en plus j'ai demandé s'il n'y avait pas des questions ET Y'EN AVAIT PAS!!!!!

Mais je ne dis pas cela bien sûr. Je me tais et regarde le groupe d'un air bienveillant (si si je sais faire). 

Mais enfin que me veulent-ils?